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Quand Sarkozy dit n’importe quoi pour justifier les cadeaux aux banques, acte II

NICOLAS CORI pour Libération

Sarkozy est coutumier des approximations et des erreurs en matière économique. Lors de ses voeux aux parlementaires, il n’a pas hésité à dire n’importe quoi pour justifier son plan d’aide aux banques qui s’est révélé être très soft pour les établissements financiers . Lors de son intervention télévisuelle de jeudi soir, il a réitéré en quelques mots ce mélange d’approximation et d’erreur, énoncé sur un ton péremptoire.

Au cours cet entretien, Sarkozy a martelé deux idées : d’une part, ce plan n’a rien coûté au contribuable, d’autre part, cela va rapporter 1,4 milliards, qui vont être utilisés pour "financer des mesures sociales". J’ai écrit un article là-dessus, qui est paru samedi (et qui a été beaucoup commenté). Je critiquais le calcul de Sarkozy et je notais que, malgré mes demandes, je n’avais pas pu avoir d’explication auprès du gouvernement.

Il ne faut jamais désespérer, je viens (lundi après midi) d’avoir un conseiller de Bercy, qui m’a expliqué d’où venait le chiffre de 1,4 milliards. Pas de chance, cela invalide, une nouvelle fois, le raisonnement présidentiel (le conseiller de Bercy lui-même a reconnu que Sarkozy avait fait une erreur).

Explication.

Lors de son intervention, jeudi soir, Sarkozy a prononcé exactement ces deux phrases :

"Nous avons mobilisé des moyens importants pour sauver les banques et, pour l’instant, ça n’a pas coûté un centime d’euro".
« J’ai mobilisé potentiellement 320 milliards d’euros pour aider les banques, nous en avons utilisé 25 milliards. A la fin de l’année 2009, l’argent que nous avons prêté aux banques pour qu’elles fassent leur métier rapportera au budget de l’Etat 1,4 milliard d’euros ».

    • Première erreur, il est faux de dire que ça n’a pas coûté un centime. Le sauvetage de Dexia s’est fait en prenant une participation d’un milliard d’euros pour l’Etat. Les actions ont été achetées au cours de 9,9 euros l’unité, elles valent aujourd’hui 2,3 euros. La moins-value potentielle pour l’Etat est donc de 770 millions d’euros. Certes, l’Etat ne veut pas céder aujourd’hui cette participation, et il peut espérer que le cours de Dexia remonte. Il n’empêche, on ne peut pas dire qu’il a fait une bonne affaire. S’il était un groupe privé, l’Etat aurait d’ailleurs dû déprécier cette participation dans ses comptes.

Pour être complet sur le dossier Dexia, il faut ajouter que le groupe franco-belge a lancé des émissions obligataires avec la garantie de l’Etat (et est donc rémunéré sur cette opération), mais que l’Etat s’est aussi engagé à garantir une partie du portefeuille d’actifs à risque de Dexia (notamment FSA, une filiale en assurance de crédit, qui a failli faire faillite). Soit donc une prise de risque importante.

    • Deuxième erreur, le chef de l’Etat a justifié son chiffre de 1,4 milliards en se fondant sur des mauvais chiffres. Sarkozy cite en effet à la fois le chiffre de 25 milliards qui aurait déjà été "utilisé" et le chiffre de 320 milliards, "mobilisé".

En fait, le plan d’aide aux banques est de 360 milliards d’euros. 320 milliards sous forme de prêt, apportés par la Société de Financement de l’Economie française (SFEF) et 40 milliards sous forme de fonds propres, apportés par la Société de prise de participation de l’Etat (SPPE), et qui devront être remboursés.

Et ce n’est pas 25 milliards qui ont été "utilisés" (au moment où Sarkozy parle), mais 39,1 milliards : 28,6 milliards sous forme de prêts (donc via la SFEF) et 10,5 milliards sous forme d’apport de fonds propres, donc via la SPPE.

D’où vient ce chiffre de 25 milliards ? D’une note, rédigée par Bercy, qui faisait le point, au 31 janvier, des émissions de la SFEF. Qui n’était donc plus d’actualité au moment où Sarkozy parlait. Et qui ne parlait pas de l’argent prêté par la SPPE.

Mais peu importe. L’importante erreur de raisonnement du chef de l’Etat n’est pas là.

Dans mon article de samedi, j’émettais l’hypothèse que Sarkozy avait "oublié" de prendre en compte le fait que, pour prêter de l’argent, l’Etat devait lui-même s’endetter. Hypothèse fondée sur une remarque du chef de l’Etat lors de ses voeux aux parlementaires qui traduisait une méconnaissance totale du sujet :

"Je voudrais rappeler que ces 10,5 milliards que nous avons mis à la disposition des banques, les banques les rémunèrent et les rémunèrent à 9%. Je veux dire que sur ces 10,5 milliards qui ont été prêtés aux banques pour reconstituer leurs fonds propres, je veux dire aux Français, bah, qu’ils ont fait une bonne affaire. Parce que cela a évité la faillite, cela a permis de restaurer, pas assez, le crédit. Mais surtout, c’est 10,5 milliards placés à 9%. Je demande : y-a-t’il un seul d’entre vous qui aujourd’hui a placé ses économies à 9% ?"

Dans la réalité, l’Etat ne place pas ses économies à 9%. La SFEF emprunte à 3% en moyenne et reprête aux banques à 4%. Quant à la SPPE, elle emprunte à 2,7% en moyenne et reprête à 8,2%. En refaisant les calculs, j’arrivais ainsi à un gain pour l’Etat de 900 millions fin 2009.

En fait, et heureusement pour nous, les conseillers de Bercy sont meilleurs que Sarkozy en économie. Et ils savaient bien que pour obtenir un gain net, il faut enlever les coûts (c’est-à-dire, en l’occurence, le coût de l’emprunt pour l’Etat).

Alors, d’où vient la différence entre les 900 millions et 1,4 milliards ?

Tout simplement, les conseillers de Bercy ont vu large. Pour arriver à 1,4 milliards, ils ont additionné l’argent déjà utilisé et celui qui allait l’être au cours de l’année 2009. C’est-à-dire les 25 (ou les 28,6) milliards et tous les futurs prêts de la SFEF. Qu’ils ont estimé, en moyenne, à 7,5 milliards d’euros par mois. C’est-à-dire à un total d’ici la fin 2009 (échéance fixée par Sarkozy) à 25+82,5 milliards=107,5 milliards.

Une telle somme est possible théoriquement. Sauf que :

  • d’une part, Sarkozy s’est bien gardé de dire qu’il allait prêter effectivement 107 milliards aux banques en 2009 (le chiffre aurait peut-être paru énorme).
  • d’autre part, cette somme semble optimiste par rapport aux propres estimations du patron de la SFEF. Fin janvier, Michel Camdessus, qui préside l’établissement public, avait estimé le montant total des crédits de la SFEF pour 2009 à "entre 50 et 70 milliards d’euros".

A partir de là, selon Bercy, le montant que va recevoir l’Etat est le suivant :

Pour ce qui concerne la SFEF, l’Etat touche en moyenne, selon le conseiller de Bercy, "0,6% par milliard distribué multiplié par la maturité moyenne des émissions de la SFEF". Au 31 janvier, il aurait déjà touché 380 millions d’euros. Et si la SFEF prête aux banques les 82 milliards prévus il s’attend à recevoir 495 millions supplémentaire d’ici la fin 2009. Cela donne un total de 875 millions d’euros.

Le conseiller de Bercy ajoute à cette somme la rémunération des 10,5 milliards d’euros prêtés par la SPPE, et qui est de l’ordre de 5% par an. A savoir 525 millions d’euros.

Et donc un total (875+525 millions) de 1,4 milliards.

Conclusions :

 Sarkozy s’est bien trompé quand il a associé 25 milliards d’euros déjà prêtés à un gain d’1,4 milliards.

 Le chiffre de 1,4 milliards d’euros gagné à la fin 2009 est de toute façon très optimiste. Il va falloir que l’Etat prête 118 milliards d’euros pour arriver à un tel gain. Et ce n’est pas encore fait. Il peut se passer beaucoup de choses sur le marché du crédit d’ici la fin de l’année. Il n’est donc pas très honnête de promettre une telle somme pour des "mesures sociales".

 Cette note ne vise pas à démontrer qu’il ne fallait pas prêter de l’argent aux banques. Il fallait le faire, mais, à mon avis, en demandant des contreparties plus importantes. Là où je critique Sarkozy, c’est à propos de son raisonnement qui compare l’Etat à un groupe privé dont l’objectif est de faire des profits. D’une part parce que, en tant que groupe privé (ce qu’il n’est pas), l’Etat va gagner de l’argent en prenant un risque (celui de ne pas être remboursé si le débiteur fait faillite), qui doit être envisagé. D’autre part, parce qu’il est totalement idiot de croire que l’Etat peut se comporter comme un groupe privé. L’Etat n’a pas à rougir de faire des pertes s’il s’agit de sauver le système bancaire. Car, en cas de faillite d’un établissement, c’est toute l’économie française qui s’effondrerait. Et cela coûterait beaucoup plus cher à l’Etat...

Article publié le 9 février 2009.


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