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Le Grenelle de l’environnement est devenu un simple label

LEMONDE.FR

Trois ans après la fin des concertations du Grenelle de l’environnement, Jean-Louis Borloo, ministre de l’écologie, s’est vu remettre un rapport d’évaluation sur le dossier, mardi 2 novembre. Les organisations non gouvernementales (ONG) de protection de l’environnement – Greenpeace, Réseau action climat, Les Amis de la Terre, le Centre de recherche et d’informations pour le développement et la résistance à l’agression publicitaire – se sont réunies devant le ministère pour dénoncer la "communication mensongère" du gouvernement et ont publié un contre-bilan. "Le Grenelle a été l’occasion de beaucoup d’annonces mais de très peu de mises en œuvre", dénonce Stéphen Kerckhove, délégué général de l’association Agir pour l’environnement et auteur du livre Grenelle de l’environnement, l’histoire d’un échec.

Quels sont les principaux reculs du gouvernement par rapport aux mesures annoncées à l’issue des concertations du Grenelle ?

Les reculs sont manifestes sur presque tous les sujets. Ils peuvent parfois apparaître comme anecdotiques, en étant thématiques, mais additionnés, ils font du Grenelle de l’environnement un échec. La fiscalité écologique est le parent pauvre de cette loi : la taxe carbone a été renvoyée au niveau européen ; la taxe poids-lourds reportée à 2012 ; la taxe pique-nique (sur les couverts et assiettes jetables non recyclables) abandonnée ; le crédit d’impôt pour les investissements dans les énergies renouvelables divisé par deux (de 50 à 25 %) ; et le bonus-malus sur les voitures devrait être allégé.

Dans les autres domaines, le gouvernement a aussi multiplié les coups de canif. Dans le domaine de l’énergie, les outils mis en place pour remplir les objectifs fixés sont déficients. Le nombre de projets d’éoliennes a par exemple chuté de 60 % au premier trimestre 2010 par rapport à l’an dernier, en raison notamment d’un durcissement de la réglementation et des conditions d’implantation des champs. Dans les transports, le fret ferroviaire aurait dû représenter cette année 17,5 % du fret global. En réalité, il s’effondre à 12 %, après avoir été de 14 % en 2006, à cause des incitations au transport routier qui se poursuivent. La construction d’infrastructures qui ont un impact sur le climat s’est aussi poursuivie, avec la relance de la centrale nucléaire de Penly, le nouvel aéroport du Grand Ouest de Notre-Dame-des-Landes, la construction de 1 000 kilomètres supplémentaires d’autoroutes ou encore l’incinérateur de Fos-sur-Mer.

Le Grenelle de l’environnement a-t-il malgré tout suscité quelques avancées ?

Sur la forme, il a permis à l’expertise des associations et des ONG d’être reconnue au sommet de l’Etat. Il a aussi favorisé la rencontre entre les associations et les syndicats, qui pourra déboucher sur des synergies à l’avenir.

Sur le fond, on peut souligner l’obligation d’une meilleure isolation des logements neufs (avec un maximum de consommation énergétique de 50 kWh/m2/an) même si ces nouvelles constructions ne représentent que 1 % du total des habitations. On a aussi obtenu quelques avancées sur le dossier des OGM, avec notamment le moratoire sur le MON810, mais on les doit davantage à la mobilisation de la société civile, et notamment des faucheurs volontaires, qu’au gouvernement.

Comment expliquer cet échec et le fait que la loi Grenelle II n’ait pas repris les engagements inscrits dans la loi Grenelle I ?

Effectivement, les engagements de la loi Grenelle I, promulguée le 3 août 2009, sont restés sur le papier, n’ont jamais été appliqués. La loi Grenelle II, entrée en vigueur le 12 juillet 2010, s’avère en réalité une boîte à outils qui n’a abouti à aucune décision. La raison est à chercher du côté de la méthode du Grenelle.

Un Grenelle, en soi, ne prend pas de décisions. Il consiste en un moment de réflexion, de débats et de discussions. Une fois que tous les partenaires se sont arrêtés sur un projet, les parlementaires doivent prendre le relais pour le voter et le faire appliquer, ce qu’ils n’ont pas fait. Aujourd’hui, le Grenelle de l’environnement est devenu un simple label. Les associations ont l’impression d’avoir été instrumentalisées : le Grenelle a délégitimé la notion de débat public puisque les projets n’ont pas été traduits dans la loi.

Qu’attendez-vous de la part du gouvernement ?

Aujourd’hui, Jean-Louis Borloo souhaite faire un Grenelle pour la fiscalité. Le gouvernement saute de Grenelle en Grenelle, alors que la méthode n’a pas fait ses preuves. Au lieu d’un nouveau Grenelle, nous souhaitons reprendre les engagements du premier texte législatif, vérifier qu’ils sont toujours pertinents et les appliquer dans une nouvelle vraie loi. Nous espérons résorber les reculs, mais nous ne sommes pas dupes. Nous savons que le gouvernement n’adoptera pas une nouvelle loi. Le Grenelle de l’environnement restera une occasion manquée.

Quel bilan faites-vous de l’action de Jean-Louis Borloo à la tête du ministère de l’écologie ?

Jean-Louis Borloo parle beaucoup mais agit peu. On ne réglera pas les grandes crises climatiques avec des discours. Son bilan est globalement négatif, notamment en raison de l’échec du Grenelle de l’environnement. Alain Juppé, s’il le remplaçait à ce poste lors du prochain remaniement ministériel, aurait l’envergure nécessaire pour tenir tête aux lobbies. Il avait par ailleurs lancé les grandes lignes du Grenelle lorsqu’il était ministre de l’écologie, de mai à juin 2007, avant l’arrivée de Jean-Louis Borloo. Mais l’on ne peut pas savoir si cela s’avérera suffisant pour déboucher sur de vraies actions en faveur de l’environnement.

Propos recueillis par Audrey Garric

Article publié le 3 novembre 2010.


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